Key words: Europe, Greek mythology, eurocentrism
"Je ne puis pas non plus m'expliquer à quelle occasion
la terre, étant une, a reçu trois dénominations distinctes,
tirées de noms de femmes, et ont été fixés
entre ses parties comme lignes de démarcation le Nil, fleuve d'Egypte
et le Phase de Colchide...; pas davantage, savoir les noms de ceux qui
tracèrent ces démarcations, ni d'où ils ont tiré
les dénominations des parties. La Libye en effet, disent la plupart
des grecs, serait ainsi dénommée d'après Libyé,
une femme de ce pays; l'Asie aurait pour éponyme la femme de Prométhée,
tandis que les Lydiens revendiquent son nom comme leur, prétendant
que ce n'est pas d'après l'Asié de Prométhée
que l'Asie est appelée Asie, mais d'après Asiès, fils
de Cotys, fils de Manès, de qui tirerait également son nom
la tribu de Sardes Asiade. Pour l'Europe, de même que nul ne sait
si elle est entourée d'eau, on est sans lumière sur l'origine
de son nom et sur celui qui le lui imposa, à moins de dire que le
pays reçut ce nom de la Tyrienne Eurôpè; elle aurait
en ce cas été auparavant anonyme, comme les autres parties
du monde. Mais il est certain que cette Eurôpè était
originaire d'Asie, et qu'elle ne vint jamais dans ce pays que les grecs
appellent présentement Europe; elle vint seulement de Phénicie
en Crète, et de Crète alla en Lycie. En voilà assez
là-dessus; car, en cette matière, nous suivrons l'usage consacré."(1)
Hérodote dans ce passage propose une possibilité pour repérer l'éponyme du continent européen en jouant (sans grande assurance, à vrai dire) avec l'ambiguité du langage mythique dont il ne réussit pas à se libérer completement. Faute de mieux il se laisse entraîner et transmet une légende. Mais en tant qu'écrivain des guerres entre asiatiques (barbares) et européens (grecs), il se trouve dans l'embarras d'une Eurôpè (Eurp) mythique qui n'a véritablement jamais mis le pied sur la terre qui porte son nom.
Cette version est bien moins compliquée que celle que le "père de l'histoire" transmet pour le cas de l'Asie et on pourrait soupçonner qu'il s'agit peut-être d'une simplification. Le scholiaste du vers 29 du Rhésos d'Euripide nous propose d'autres chemins plus élaborés:
"Certains mentionnent deux Eurôpès: une Océanide,
par laquelle reçut son nom une partie du monde habité, comme
racontent Apion(2) dans ses livres Sur
les éponymes et Aristoclès(3)
dans le premier livre de la Théogonie; et une seconde, la
fille de Phoinix le fils d'Agénor, de laquelle naquîrent les
proches de Minos, comme racontent Euripide et d'autres auteurs. Certains
affirment que le continent reçut son nom d'elle, c'est le cas de
Callimaque(4) et de Zenodote(5),
qui le suit. Il y a encore d'autres qui mentionnent une troisième,
comme Hégesippe(6) dans son oeuvre
Sur
Pallène où il écrit: 'Cadmos accompagné
de Téléphaé, la mère d'Eurôpè
+se dirigea à (Athènes?)+ et apprit qu'Eurôpè
commandait en Thrace; ils arrivèrent dans l'autre continent où
sur tous exerçait le pouvoir Eurôpè, non pas la fille
de Phoinix, mais une femme du pays [abandonnée par son mari]; c'est
à cause de celle ci que tout le continent en direction au vent Boréas
est appelé Europe'"(7)
Combien d'Eurôpès y-a-t'il donc?, les réviser toutes devient un exercice de méthodologie mythologique, nous montrant la face véritable des récits mythiques grecs, variés jusqu'à l'infini, tressant un complexe labyrinthe de versions différentes.
Dépourvus des certitudes des savants du XIXè siècle et donc obligés à renonçer au fil d'Ariane de la reconstruction théorique de la "narration mythique originale" (mirage pour pouvoir tailler les versions peu commodes), il devient nécessaire de tout réviser pour bien comprendre les mentalités changeantes qui forgent ou modifient le mythe selon la contrée, la classe sociale ou l'époque du transmetteur.
Il se dessine donc une touffue mosaïque d'Eurôpès, candidates (avouées ou non) à l'éponymie du continent, qu'il convient de façon synthétique passer en revue.
La première, la plus connue, est une princesse phénicienne ravie par Zeus qui, métamorphosé en taureau, la transporta dans l'île de Crète(8). Fruits des amours du dieu et de la mortelle naquîrent Minos, Rhadamanthe et Sarpédon. Hérodote transmet une version différente (non théologique) selon laquelle Eurôpè fut ravie par des grecs de Crète. L'épisode s'inscrit comme deuxième volet d'une explication puérile (exemple de l'idéologie masculine -machiste(9)- qui domine dans la culture grecque) selon laquelle les offenses entre grecs et barbares orientaux consistant en divers rapts de femmes (qui culminent avec la guerre de Troie)(10) sont à l'origine de l'animadversion entre asiatiques et héllènes qui donnera lieu aux guerres médiques(11).
Eurôpè se trouve donc mélée en plein dans cette longue querelle Orient-Occident qui a justifié tant d'idéologies et de conduites discriminatoires envers l'"autre" le long des temps.
L'iconographie développe uniquement la version du rapt par Zeus transformé en taureau (dans toutes ses phases(12)). Il s'agit d'une scène très convenable pour la narration figurée car l'image de la jeune femme assise sur le taureau suggère sans la décrire toute une suite à forte connotation érotique, facile à interpréter(13). La plupart des écrivains qui développent le sujet de façon suffisante, et dont l'oeuvre nous est parvenue (Moschos(14), Ovide(15), Horace(16), Lucien(17)), demeurent dans leurs descriptions très iconographiques (montrent le rapt mais sans décrire la scène sexuelle, qui n'est que suggérée, en insistant sur la minucieuse description des détails des vêtements de la femme et de l'allure de l'animal). Seul Nonnos(18) présente une version moins picturale et plus proche des moyens de description du langage écrit. Il s'agit, il faut le dire, dans tous les cas de sources tardives (très influencées par les peintures murales(19) dont le meilleur exemple l'offre Achille Tatius(20)). Sans doute dans le cas des oeuvres littéraires monographiques datées de l'époque archaïque ou classique (d'Eumélos(21), Stésichore(22), Simonide(23), Eschyle(24), Hermippe(25), Platon le comique(26) ou Eubulos(27)) dont l'information est malheureusement trop lacunaire, l'influence des développements iconographiques du mythe put être beaucoup moins importante.
Dans toutes ces versions du récit du rapt, Europe est une orientale,
même si la généalogie est diverse selon les auteurs.
Homère(28), Hésiode(29),
Bacchylide(30), Héllanicos(31),
Conon(32) ou Moschos(33),
entre autres, proposent Phoinix (l'éponyme de la Phénicie)
comme son père. Agénor est le candidat d'Hérodote(34),
des mythographes (Apollodore(35) ou Hygin(36))
et d'Ovide(37), entre autres; sa mère
était Tyr (l'éponyme de la ville de Tyr en Phénicie)
d'après Jean d'Antioche(38).
Ce paradoxe (l'orientale éponyme du continent occidental) se maintient dans le cas des deux Eurôpès que l'on revisera par la suite.
La première est la femme que trouve Cadmos en Thrace pendant la quête infructueuse de sa soeur Eurôpè dont nous parle Hégésippe(39). La seconde est une Egyptienne, fille de Nil (éponyme du fleuve), qui se maria avec Danaos (le frère d'Egyptos -éponyme du pays-). Elle enfanta une série de filles dont le nombre diverge, selon les sources, entre quatre (Apollodore(40)) et cinquante (Hippostrate(41), Phlégon(42)). Les Danaïdes(43) fuyant les cinquante fils d'Egyptos s'installèrent avec leur père à Argos où Danaos devint le roi. Retrouvées par leurs cousins les Egyptiades, elles furent forcées au mariage, mais la nuit de noces chacune d'elles tua son mari (avec une seule exception). Mariées finalement à des argiens (recrutés lors d'un agn, et donc sans que leur père eut perçu le prix de la fiancée) elles devinrent les ancêtres des danaens, dénomination homérique des grecs.
Une autre Eurôpè est connue de Pindare(44), Apollonios de Rhodes(45) et Hygin(46) comme fille du géant Tityos; elle enfanta de Poseidon, Euphémos l'argonaute. Ancêtre mythique des battiades (les rois grecs de Cyrène) cette Eurôpè, par le biais de son fils, peut elle aussi être mise en rapport avec le continent africain.
Eurôpè est d'après Lactance Placide(47) le nom de la femme d'Atrée, le fils de Pélops (éponyme du Péloponnèse). Amante de son beau-frère Thyeste, sa conduite provoca une haine farouche entre les deux princes qui déclencha une série de crimes épouvantables. Atrée tua et cuisina les fils de Thyeste, invita son frère à un banquet cannibale pendant lequel celui-ci, sans le savoir, mangea ses propres enfants(48). Pour se venger Thyeste (suivant un oracle) engendra un fils, Egiste, fruit de la violation de sa propre fille, Pélopie, qui se maria postérieurement avec Atrée. Celui-ci, adopta Egiste et l'envoya tuer Thyeste; mais une fois connue son origine véritable, Egiste tua Atrée (Pélopie, qui ne savait pas que son violateur était son père Thyeste se suicida). Plus tard il devint l'amant de Clytemnestre, la femme de son cousin Agamemnon (un des fils d'Atrée) et entre les deux, lors de son retour de la guerre de Troie, ils l'assassinèrent . Finalement les amants furent tués par Oreste qui commit parricide (tua sa mère). La totalité des autres sources anciennes nomment la femme d'Atrée Aéropè; il faut donc penser que Lactance Placide est victime d'une confusion provoquée peut-être par la ressemblance des noms des femmes(49). Du point de vue de la méthodologie de l'analyse mythologique, la présence de cette Eurôpè atypique convient pour rappeler qu'il faut tenir compte de l'erreur comme hypothétique source de versions alternatives des narrations mythiques(50).
La sixième Eurôpè est, selon le scholiaste du vers 932 de l'Orestie d'Euripide, ou bien la mère de Niobe (donc épouse de Phoroneus) ou bien la soeur de Niobe et donc fille de Phoroneus et Peitho(51). Une pure grecque finalement, puisque Phoroneus dans les légendes locales du Péloponnèse apparaît comme le premier homme, et comme celui qui, lors de la dispute entre Poseidon et Hera pour la possession de la Péninsule, donna la victoire à la déesse.
La dernière Eurôpè à réviser est une
forte candidate à l'éponymie du continent en concurrence
avec la princesse de Tyr ravie par Zeus; il s'agit de la fille d'Océan
et Téthys (soeur donc d'Asie -Así-) dont nous parle,
par exemple, Hésiode(52). Le scholiaste
du vers 188 des Perses d'Eschyle(53)
se réfère à un passage d'Andron(54)
qui présente une généalogie un peu différente
mais pour une fois munie d'une certaine "logique": "Océan épousé
à Pompholygè et Parthénopè eut de Parthénopè
Eurôpè et Thrace et de Pompholygè Asie et Libye, avec
lesquelles coincident les dénominations des continents". Notre problème
semble donc se résoudre: tous les continents porteraient des noms
de filles d'Océan, le principe marin qui les sépare et à
la fois les unifie dans la "physique mythique" grecque. En outre le jeu
de polarités mères-filles propose un doublet qui réunit
le Nord à l'Occident (les terres peuplées de façon
majoritaire par des grecs ou susceptibles de colonisation grecque) et le
Sud à l'Orient (terres de Barbares à l'exception de l'enclave
africain de Cyrène). Mais le brouillage des autres traditions mythiques
ne permet pas de faire trop de confiance à cette facile solution
pour l'éponymie; à vrai dire et à l'exclusion de l'historien
d'Halicarnasse le reste des grecs ne reconnaissaient pas ce genre de géographie
mythique logique, qui semble plutôt une rationalisation dissimulée
(peut-être Andron, jouant à répondre à son compatriote
Hérodote, modifie pour mettre un peu d'ordre la généalogie
des Océanides du prestigieux Hésiode).
En conclusion, la révision des mythes d'Eurôpè nous dessine une mosaïque composite de traditions dont l'analyse peut sembler un vain divertissement érudit. Mais le passé mythique grec, avec son héritage de mots (la propre dénomination Europe), de mentalités et de conduites, ne peut moins que provoquer une réflexion tout à fait contemporaine pour une collectivité (la CE) qui semble, au delà des différences séculières, chercher à délimiter l'identité européenne. Identité qui utilise des paroles dont il faut être conscients qu'elles furent inventées ou chargées de sens pour soutenir idéologiquement la préeminence des grecs sur leurs voisins (Europe était pour Hérodote sans aucun doute la Grèce, le reste, les autres continents, étaient des terres de barbares). Le paradoxe, nous l'avons vu, consiste en ce que les grecs étaient conscients du fait que quelque chose ne marchait pas dans leurs récits mythiques sur l'éponymie de leur continent. La plupart des Eurôpès étaient des orientales et la principale une phénicienne. Le langage du mythe, dans son "irrationnalité" supposée, possède des valeurs particulières, et quelquefois peut transmettre le souvenir (même dénaturé) d'un passé où les choses étaient diverses. La situation de préeminence militaire et culturelle des grecs à partir de l'époque archaïque, donna naissance à un produit idéologique, l'héllénocentrisme, une stratégie de relation envers le reste du monde dont le postulat de base était l'inégalité. Cette façon de penser matérialisée en conduites (et très utile pour dominer -et modifier- sans remords des territoires à cultures différentes) fut héritée par les européens qui mettaient en marche l'expansion impérialiste et colonaliste et qui se regardaient dans les grecs ou dans leurs succésseurs idéologiques les romains (de la Renaissance au XXè siècle) pour extraire un système de valeurs, l'eurocentrisme, qui permettait de défendre leur supériorité à l'échelle mondiale.
Mais l'héllénocentrisme n'existait pas dans le passé grec le plus reculé; le territoire était beaucoup plus imbriqué du point de vue culturel dans le monde méditerranéen et la culture était beaucoup moins sûre de ses propres valeurs (l'art est un excellent moyen d'enquête et nous montre une utilisation de motifs et techniques dits "orientalisants"(55)). Hérodote, tout en demeurant un des piliers de la défense de l'identité (et la supériorité) des grecs vis à vis des barbares, était conscient de ce que nous ne pouvons pas ignorer, que la terre habitée est une et que ce sont les intêrets des hommes (tout simplement peut-être l'incapacité de comprendre, gérer et valoriser les différences) qui érigent les compartiments, mettent en évidence les différences et dénoncent l'altérité.
La force encore vivante du mythe grec réside peut être
dans le fait de pouvoir encore stimuler la réflexion finale suivante:
il nous faut penser l'Europe au-delà des modèles eurocentristes
légués par le monde ancien, et renforcer notre capacité
de comprendre le monde comme une unité, penser globalement pour
ainsi surmonter la tentation de nous estimer supérieurs (par exemple
du point de vue culturel) et surtout de nous représenter les autres
comme de nouveaux barbares (qu'il faut écarter bien loin de "nos"
frontières). Il faut donc savoir penser autrement qu'Hérodote.
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RESUME
Révision des diverses Eurôpès connues dans les sources
anciennes. L'analyse de l'origine non grecque de bon nombre d' elles devient
une invitation à la réflexion sur le fait d'être européens
sans tomber dans l'eurocentrisme, pour réussir à penser globalement,
autrement que les auteurs classiques.
1. Hérodote IV, 45. Traduction Ph.-E. Legrand, CUF, 1949, pp. 74-75.
4. R. Pfeiffer, Callimachus I, fragmenta, Oxford, 1949, num. 622 p. 423.
7. Nous suivons, pour réaliser la traduction, l'édition de E. Schwarz, Scholia in Euripidem II, Berlin, 1891, p. 328, tenant en compte pour la dernière phrase les doutes sur la mention d'Athènes exprimées dans le texte par Jacoby (391 F 3, voir l'appareil critique).
8. Le sujet à été étudié dans les monographies et les articles encyclopédiques suivants: O. Jahn, "Die Entführung der Europa" dans Denkschrift der Wiener Akademie der Wissenschaften, 9, 1870, p. 1-54; L. De Brauw, Europa en de Stier, Amsterdam, 1940; W. Bühler, Europa, Munich, 1968; W. Helbig, "Europa 10" dans W.H. Roscher (éd.) Ausführliches Lexikon der griechischen und römischen Mythologie, Leipzig-Berlin, vol. I,1 (1884-1886), col. 1410-1418 (voir aussi les autres Eurôpès dans col. 1409-1410); J. Escher-Bürkli, "Europe" dans Pauly's Realencyclopädie der classischen Altertumswissenschaft, Stuttgart, vol. VI,1 (1907), col. 1287-1298; E. Zahn, Europa und der Stier, Wurzbourg, 1983.
9. Les paroles d'Hérodote (I, 4, traduction Ph.-E. Legrand, p. 15) sont exemplaires: "...les hommes de bon sens ne se soucient nullement des femmes enlevées; car il est évident que, si elles-mêmes ne le voulaient, on ne les enlèverait pas".
10. Le premier rapt est celui de l'argienne Io par des phéniciens, le second celui d'Eurôpè, le troisième celui de Médée par les grecs et le dernier celui de la grecque Hélène par le troyen Alexandre-Pâris (Hérodote I,1-3).
11. Hérodote I, 1-5 présente tout ce long récit des rapts comme l'explication que donnent les Perses du conflit, mais il ne faut pas faire toujours confiance aux informations sur les peuples barbares que donne cet auteur; Hérodote regarde les autres avec les yeux ethnocentriques du grec (voir F. Hartog, Le miroir d'Hérodote, Paris, 1980).
12. Voir M. Robertson "Europa I-II" dans Lexicon Iconographicum Mythologiae Classicae, IV, 1988, vol. I, pp. 76-92, vol. II, pp. 32-48 (illustrations) avec bibliographie, il faut retenir aussi le petit livre de W. Bühler, Europa, Munich, 1968; ajouter à la bibliographie H.R. Hanke, Die Entführung der Europa. Eine ikonographische Untersuchung, Cologne, 1966; O. Wattel de Croizant "A propos du mythe d'Europe" dans R. Chevallier (ed.) Histoire et historiographie, (Caesarodunum, XV, bis), Paris, 1980, p.427-451 (l'auteur a publié plus récemment plusieurs articles sur les représentations d'Europe dans les mosaïques -notament espagnoles-) et M.-Ch. VIllanueva Puig "Sur l'identité de la figure féminine assise sur un taureau dans la céramique attique à figures noires" dans C. Bérard (et alii, éd.), Images et société en Grèce ancienne, Lausanne, 1987, p. 131-143.
13. L'iconographie permet une grande liberté d'interprétation; la scène put être comprise comme une représentation du mythe tel quel: Zeus épris de la belle et virginale princesse, exploite son avantage de posséder des moyens enviables pour parvenir à ses fins (la métamorphose). En parallèle les nobles ont l'avantage de leur kalokagathia qui brille par exemple dans le symposion (voir F. Lissarrague, Un flot d'images. Une esthétique du banquet grec, Paris, 1987) où la sexualité s'exprime d'une façon facile à rapprocher avec le rapt de la jeune vierge (le vase présidant le banquet et portant une scène de ce genre suggère aux participants leur identification imaginaire avec le roi des dieux). Mais l'image put être aussi lue comme la figuration de l'altérité de la sexualité qui transforme en beau taureau (l'animal le plus apprécié des grecs et de bien d'autres peuples indoeuropéens (voir B. Lincoln Priests, Warriors, and Cattle: A Study in the Ecology of Religions, Berkeley 1981) l'homme ivre d'amour pour une jeune femme.
14. Dans son poème Eurôpè, Moschos décrit très minutieusement le rapt et ses préliminaires en 163 vers tandis que la scène érotique est uniquement suggérée dans les trois derniers vers: "(Zeus) détacha la ceinture d'Eurôpè; les Heures lui préparaient une couche; elle, qui était vierge auparavant, sans tarder devint l'épouse de Zeus, elle conçut des enfants du fils de Cronos, et devint mère." (traduction de Ph.-E. Legrand Bucoliques grecs II, (CUF), 1927, p. 150-151). Le meilleur étude est celui de W. Bühler, Die Europa des Moschos, Wiesbaden, 1960, p. 17-29.
15. Dans Les Fastes, V, 603-616 ne montre que la scène d'Europe chevauchant Zeus métamorphosé, dans Les Métamorphoses, II, 847-875, déroule la scène préalable au rapt.
16. Odes, III, 25-76, décrit la scène postérieure à l'acte sexuel.
17. Dialogues marins, 15, décrit tout le cortège marin qui accompagne le rapt dans la ligne, par exemple de la mosaïque de Djemila (M. Robertson, op. cit. num. 164, daté vers 400 a.e.) ou du vase de Paestum au Musée J.P. Getty de Malibu (81.AE.78; M. Robertson op. cit. num. 74, daté vers 330 a.e.), voir aussi B. Baldwin, "Lucian and Europa. Variations on a theme", dans Acta Classica, 23, 1980, p. 115-119.
18. Dionysiaques, I, 46-137 (le rapt en Phénicie et le voyage marin) et 322-355 (la scène érotique avec une description détaillée et poétique: "(Zeus)... sous les traits d'un jouvenceau, le voici qui court autour de la vierge indomptée. Il la caresse, commence par dénuer sur la poitrine de sa fiancée la ceinture qui lui serre la taille, presse comme par mégarde les contours arrondis de sa gorge ferme, effleure sa lèvre d'un baiser. Puis, en silence, rompant le chaste lien qui préserve son intégrité virginale, il cueille le fruit encore vert des amours de Cypris", vers 345-351, traduction de F. Vian (CUF), 1976, p. 58-59).
19. O. Wattel de Croizant, op. cit., p. 429-430.
20. Le roman de Leucippé et Clitophon, I, 2-3: "Visitant le reste de la ville et regardant les offrandes, je vis un tableau consacré figurant à la fois la terre et la mer: c'était la représentation d'Europe; la mer était celle des phéniciens, la terre était celle de Sidon. Sur la terre se trouvait une prairie ainsi qu'un choeur de jeunes filles. Dans la mer nageait un taureau et sur son dos était assisse une belle jeune fille..." (traduction J.-Ph. Garnaud, (CUF), 1991, p. 1-2).
21. On lui attribue une Europia aujourd'hui perdue (à l'exception de trois fragments, voir A. Bernabe, Poetarum Epicorum Graecorum, Leipzig, 1987, p. 112-113).
22. Ecrivit une Europeia complètement perdue (D.L. Page, Poetae Melici Graeci (PMG), Oxford, 1962, p. 108, num. 195 (18).
23. Ecrivit une Europa dont il ne subsiste qu'une mention du taureau (Page, PMG, p. 291, num. 562 (57)).
24. Ecrivit une tragédie dont le nom nous est parvenu double Les Cariens ou Europe; subsistent une vingtaine de lignes dans le papyrus Didot du Musée du Louvre (7172) (S. Radt, Tragicorum Graecorum Fragmenta, 3. Aeschylus, Göttingen, 1985, p. 217-221, num. 99).
25. Ecrivit une comédie Eurôpè (R. Kassel-C. Austin, Poetae Comici Graeci (PCG), Berlin-New York, vol. 5, 1986, p. 571).
26. Ecrivit une Eurôpè (PCG, vol. 7, 1989, p. 442).
27. Ecrivit une comédie Eurôpè (PCG, vol. 5, 1986, p. 208).
29. R. Merkelbach-M.L. West, Fragmenta Hesiodea, Oxford, 1967, num. 140.
30. B. Snell-H. Maehler, Bacchylidis Carmina cum Fragmentis, Leipzig, 1970, p. 88, num. 10.
35. Qui donne les deux possibilités (Agénor ou Phoinix) dans III, 2.
36. Fabulae, 155, 2 et 178, 1.
38. Dans C. Müller, Fragmenta Historicorum Graecorum, vol IV, Paris, 1866, fragment 6,15.
41. 568 F 1 Jacoby. Hipostrate dans son oeuvre perdue Sur Minos racontait qu'Egyptos eut cinquante fils de son épouse dont le nom n'est pas sûr (les lectures des manuscrits et des éditeurs diffèrent -Euryroé, Euryopé ou même Eurôpè), la situation est la même dans le cas du nom de la femme de Danaos. Nous choisissons la lecture de Tzetzes, Chiliades, VII, 368-372 (de l'édition de T. Kiessling, Leipzig 1826 -Hildesheim 1963) qui donne Euryroé pour la femme d'Egyptos et Eurôpè pour la femme de Danaos plutôt que celle de Jacoby qui préfère Euryopé dans les deux cas.
42. 257 F 36,30-31 Jacoby (dans ce cas l'éditeur suit la lecture de Tzetzes -voir note précédente).
43. Voir parmi une longue bibliographie M. Detienne, "Les Danaïdes entre elles ou la violence fondatrice du mariage", dans Arethusa, XXI, 1988, p. 159-175.
44. Pythique 4, 44-47. Pindare raconte dans ce chant, dédié à Arcésilas de Cyrène, le mythe de son plus illustre ancêtre héroïque, l'argonaute Euphémos, qui reçut de Triton une poignée de terre (symbolisant le don de la Libye pour ses descendants), mais par mégarde le perdit avant l'heure; la possession de la terre africaine par les Euphémides se retarda de quinze générations.
45. Argonautiques, I, 179-184 (voir aussi les scholies des vers I, 181 et IV, 1562, édités par C. Wendel, Scholia in Apollonium Rhodium Vetera, Berlin, 1935, p.23 et 322).
47. R. Jahnke, Lactantii Placidi ... commentarios in Statii Thebaida, Leipzig, 1898, p. 214-216 (IV, 306).
48. Etudié récemment par M. Halm-Tisserant, Cannibalisme et immortalité, Paris, 1993, p. 89-125.
49. Dans le texte en trois occasions la femme est nommée Europam, la correction Aeropam est nécessaire.
50. Le rapprochement entre scènes à lecture visuelle semblable a donné parfois lieu à l'établissement d'une narration mythique alternative. Par exemple le cas du double assassinat de Priam par le moyen de son neveu Astyanax, scène à fort impact visuel (d'un seul coup disparaît la lignée des souverains de Troie) qui dans l'excellente et pionnière analyse de Charles Dugas ("Tradition littéraire et tradition graphique dans l'antiquité grecque" dans Recueil Dugas, Paris, 1960, p. 65-74) provient d'une confusion (plutôt syncrétisme involontaire) entre deux scènes très semblables (la mort de Troïlos autour de l'autel d'Apollon Thymbraios et celle de Priam autour de l'autel de Zeus Herkeios). Cette version n'apparaît que dans l'iconographie.
51. Tout dépend du manuscrit choisi pour établir le texte. E. Schwartz, Scholia in Euripidem, vol. II, Berlin, 1887, p. 189 préfère la première possibilité (le nom de la femme est dans ce cas Europs), mais l'appareil critique montre le choix possible de l'autre lecture.
52. Théogonie, 357 (Voir aussi supra notes 2 et 3).
53. O. Dähnhardt, Scholia in Aeschyli Persas, Leipzig, 1894, v. 188.
54. 10 F 7 Jacoby, que nous suivons pour la traduction. Le même passage avec quelques différences de rédaction est transmis dans les scholies de Lycophron (E. Scheer, Lycophronis Alexandra, vol. II, Berlin, 1908, v. 894, p. 289 et v. 1283, p. 362).
55. Il faut de toutes façons se méfier des excès d'un panorientalisme qui cherche à ôter toute identité originale à la civilisation grecque. Les livres polémiques de Martin Bernal (Black Athena. The Afroasiatic Roots of Classical Civilization, vol. I: The Fabrication of Ancient Greece 1785-1985, Londres 1987; vol. II: The Archaeology and Documentary Evidence, Londres 1991) sont la synthèse la plus récente et ambitieuse sur le sujet (avec bibliographies malheureusement incomplètes). Ajouter dans la discussion de l'étymologie d'Europe (emprunt oriental ou nom de racine indoeuropéenne) les travaux défendant des positions contraires de B.W.W. Dombrowski, Der Name Europa auf seinem griechischen und altsyrischen Hintergrund, Amsterdam, 1984 et F. Luciani "La presunta origine semitica del nome Europa" dans Contributi dell'Istituto di Storia antica dell'Università del Sacro Cuore, XII, 1986, p. 12-26 (avec plusieurs autres articles sur Eurôpè dans le même volume).